Dans le numéro du magazine Japan Vibes de ce mois ci (ou du mois dernier, je ne sais plus) on peut lire une interview de
Masanobu Suzui, directeur de
Game Center CX sur Nintendo DS. Comme Japan Vibes n'est pas un magazine 100% jeu vidéo (il traite de bien d'autres choses concernant le Japon) l'interview n'avait pu être publiée dans son intégralité.
Pas que je la trouve exceptionnelle, mais j'imagine que ça doit intéresser deux trois pèlerins qui passeraient par là :
JV : Bonjour Monsieur Suzui, et merci de nous accorder cette interview. Pouvez-vous vous présenter, vous et votre société indies zero, à nos lecteurs ?MS : Bonjour, je suis Masanobu Suzui, le directeur ayant supervisé la production du jeu Game Center CX au sein d’indies zero. Lorsque j’étais étudiant, j’ai participé à un séminaire organisé par Nintendo traitant de la conception de softs Famicom (Nintendo NES) et c’est à partir de là que je me suis pris de passion pour la création de jeux vidéo. J’ai été par la suite employé de Bandai (actuellement Bandai Namco Games) et à cette époque, nous avons eu envie, avec deux autres amis, de lancer notre propre entreprise. C’est ainsi qu’indies zero est née, alors que j’avais 24 ans. Aujourd’hui, la compagnie compte 23 employés dont six, moi compris, faisaient partie du séminaire Nintendo, et travaille sur des jeux aussi divers que Shaberu ! DS oryori navi (logiciel de recettes de cuisine) ou Oshare Majo Love and Berry. Dans les bureaux d’indies zero, je possède près de 300 jeux Famicom. Je pense que tout ce qui a été fait durant le séminaire Nintendo sur la fabrication des jeux Famicom m’a donné l’inspiration pour concevoir Game Center CX. Chez indies zero, nous recherchons avant tout à créer de nouveaux styles et genres de jeux avec lesquels l’on puisse s’amuser.
Comment est venue l’idée de créer un jeu basé sur l’émission Game Center CX ? Pourquoi avoir choisis cet angle d’approche alors qu’une simple compilation de jeux aurait presque pu faire l’affaire ?L’idée est en fait venue de Monsieur Sasaki de Bandai Namco Games qui nous a demandé comme ça : « vous (indies zero) ne voudriez pas essayer de le faire ? ». Dès le départ, je me suis demandé quel genre de jeu l’on pouvait créer, et je me suis dit qu’il serait bon de faire un jeu du style « galerie des années 80 » et, à travers ce titre, de faire un zoom sur l’esprit des eighties, celui où l’on jouait entre amis à la console en nous moquant ou en conseillant ceux qui avaient la manette en main, un peu comme dans l’émission de Monsieur Arino. Pour cela, on a voulu faire une compilation, non de jeux connus, mais de « nouveaux » vieux jeux, créés de toutes pièces aujourd’hui mais qui auraient pu exister à l’époque, dans un contexte réunissant également le maximum d’éléments nostalgiques. C’est pour cela que l’on a créé par exemple des revues de jeux, des manuels d’époque ou des designs de cartouches. Le soft, que l’on pourrait décrire comme appartenant au genre « jeu dans le jeu » (« game in game »), présente sur les deux écrans de la DS, d’une part les vieux jeux dans un écran de télévision sur l’écran du haut, d’autre part le joueur et son ami fictif en train de s’amuser au jeu sur l’écran du bas. Nous avons essayé d’atteindre notre but en insérant un maximum d’idées venant de Monsieur Arino et de l’équipe de l’émission. Il est vrai que ce titre DS n’a pu voir le jour que parce que l’émission Game Center CX existe, mais pour moi, il est le jeu qui symbolise « l’ambiance des jeux des années 80 ».
Au départ, je pensais que Game Center CX allait être une compilation de vieux jeux Famicom sortis, le tout mis en scène de manière assez humoristique/réelle, puisque monsieur Arino est comique de profession. Je pense que le catalogue Namco Bandai de l’époque aurait pu être une source infinie. Pourquoi avoir choisi de développer des jeux originaux pour l’occasion ?Comme je vous l’expliquais plus haut, notre but était de recréer l’ambiance des années 80 afin de pouvoir faire resurgir chez le joueur les bons souvenirs de jeu de cette époque. C’est pour cela que nous avons conçu des jeux originaux. Avec les jeux des catalogues Bandai et Namco, on ne pouvait pas selon moi faire vraiment ressurgir tous ces moments amusants des années 80. On ne voulait pas non plus faire de compilation d’une multitude de mini-jeux, dans le style de ce qu’on peut voir avec Made in Wario (Wario Ware), et c’est aussi pour ça que l’on a privilégié l’insertion de jeux originaux.
Dans Game Center CX, on trouve une multitude d’allusion à divers événements des années 80. Quand on joue, on a forcément ce sentiment de déjà vécu. On a tous passé un après-midi tout entier à jouer avec un ami en bouquinant des magazines et en inventant de faux challenges. Vous êtes-vous inspirés de faits que vous avez vécu étant jeune ? Nous avons effectivement essayé de recréer en 2007 les souvenirs plaisants que tous les joueurs ont connu avec le boom du jeu des années 80. En ce qui me concerne, bien sûr, je jouais moi-même dans les années 80 avec mes amis. On s’échangeait des magazines, des cheat codes, nous étions fous de joie à l’idée d’obtenir des personnages cachés ou de pouvoir acheter une manette avec tir automatique. En tant que joueur, je lisais beaucoup de revues de jeux vidéo, comme Coro Coro Comic, Famitsu ou Famicom Magazine entre autres. Les vieux jeux vidéo étaient particulièrement difficiles et ne bénéficiaient pas d’un très bon rythme, mais les joueurs oublient ces mauvais côtés pour ne garder que les bons souvenirs. C’est en gardant à l’esprit cette idée que nous avons conçu des jeux dignes des années 80 avec les techniques d’aujourd’hui. Le concept que nous avons cherché à atteindre, c’était de donner naissance à des jeux que l’on pourrait vraiment considérer comme rétros. L’important était d’accorder un grand soin à leur fabrication. Nous avons aussi souhaité insérer plus de facilité dans l’ensemble des titres, réajuster les excès des softs d’antan pour leur donner l’équilibre que l’on trouve désormais dans les jeux modernes.
A quel point Monsieur Arino et l’équipe de l’émission télé se sont-ils impliqués dans le développement du jeu ?Il y a d’abord eu beaucoup d’échanges d’idées entre notre compagnie, le staff de l’émission et Monsieur Arino, à propos du contenu, des genres de jeux qui pouvaient et allaient être utilisés. Puis lorsque indies zero s’est occupée ensuite de la production, nous avons demandé à Monsieur Arino de jouer au jeu. La façon de penser de Monsieur Arino était particulièrement intéressante : il nous disait parfois « vous ne pouvez pas faire ceci comme cela ? » et nous avons souvent pris en compte ses conseils. Par la suite, on a procédé avec lui à l’enregistrement des voix que l’on entend dans le jeu. Au départ, nous n’attendions pas plus que quatre types de phrases, mais Monsieur Arino s’est livré à de nombreuses improvisations. Cela a donné des choses très amusantes et du coup, on a enregistré plus de commentaires que prévu. Dans le jeu, on a donc droit à de multiples variations de tons. Ensuite, nous voulions mettre les AD (note : Assistant Director, les personnes qui aident Monsieur Arino en cas de besoin) de l’émission en tant que rédacteurs en chef des magazines que l’on peut lire dans le jeu (pour renforcer l’identification du jeu à l’émission et permettre même à ceux qui ne connaissent pas les AD de se sentir concernés), mais on a eu la suggestion de la part d’Arino d’inclure également dans le jeu en tant que personnages les membres du staff de l’émission. Par ailleurs, nous avons évoqué avec Monsieur Arino son expérience des jeux rétro et les nombreux pièges auxquels il se retrouve confronté durant le programme. Avec un stage du jeu Haguruman 3 (note : 3ème variation d’Haguruman, un jeu de plate-forme mettant en scène un ninja mécanique), nous avons donc fait en sorte que le joueur puisse être confronté aux mêmes types de challenges qu’Arino dans l’émission, en multipliant les passages difficiles (oiseaux rapides ou plates formes qui tombent par exemple). Lors du développement du jeu, Monsieur Arino a eu un choc en voyant notre planning. « Je ne comprend rien à votre truc de production », nous a-t-il dit un jour. « S’il n’existait pas, on ne pourrait rien faire », lui a-t-on répondu (rires). Enfin, pour renforcer encore davantage le lien entre le jeu et l’émission, nous avons entré les noms des personnages du jeu et réalisé les portraits des AD sous forme de pixel art. Même ceux qui ne connaissaient pas cette procédure se sont prêtés sans crainte à l’exercice, et c’est ainsi qu’on peut voir apparaître leur photo dans le jeu.
Avez-vous connu des difficultés durant les phases de développement ?Oui, on ne pensait pas qu’il aurait été aussi difficile de recréer l’ambiance « années 80 ». On a dû énormément travailler sur des détails, comme les logos des jeux, les couvertures des modes d’emploi, le design des personnages et même celui de la mascotte du « faux » magazine de jeux, l’oiseau Contorira (note : jeu de mot avec le mot japonais pour oiseau, tori, et l’anglais Controller) avec une croix directionnelle sur le corps. Il ne fallait ni quelque chose de trop kitch, ni quelque chose de trop joli comme on voit avec les CG, bref trouver le juste équilibre. Il fallait également faire plaisir aux fans de l’émission Game Center CX, ceux qui aiment et ont justement l’expérience des jeux rétros, ce qui s’est avéré délicat. Encore plus difficile pour nous : savoir quelle allait être la place des AD, qui sont également les stars du programme TV et qui ont des fans. Finalement, en les plaçant « discrètement » en tant que rédacteurs en chef de revues, nous espérons contenter à la fois les fans des AD et ceux qui ne les connaissent pas. Nous avons du aussi faire face aux limitations de la mémoire de la cartouche, et nous n’avons pas pu inclure tous les records à battre que nous voulions. Comme nous ne souhaitions pas sacrifier les visuels et les voix enregistrées, il a fallu que l’équipe de programmeurs s’arrange au mieux pour faire tenir le tout dans le jeu.
Comment avez-vous procédé pour avoir un équilibre entre ambiance années 80 et réglages modernes ?Le concept de base de Game Center CX – Arino no Chôsenjô était de rappeler aux joueurs de 20/30 ans les bons souvenirs des anciens jeux vidéo, et on a d’abord essayé d’inclure dans l’histoire des conversations, des événements, des magazines capables de susciter ces souvenirs idéalisés en rappelant l’atmosphère des années 80, de telle sorte que le joueur se dise « J’ai déjà vécu ça ! ». Pour illustrer dans un jeu de 2007 la difficulté des jeux rétro, nous avons inclus au sein des revues lues au cours de l’histoire des trucs et astuces, pour que même ceux qui n’ont qu’un genre de jeu de prédilection puissent profiter du soft du début à la fin. Bien sûr, nous avons pensé aux aficionados de challenges avec le mode yarikomi qui restitue sur DS toutes les sensations que peut éprouver Monsieur Arino dans son émission. Ensuite, même si nous avons créé des jeux des années 80, nous les avons faits en utilisant la technique d’aujourd’hui. On a par exemple supprimé les ralentissements et les clignotements de sprites (sur Famicom, c’est ce qui se produisait lorsqu’on affichait un certain nombre de personnages à l’écran). On a certes respecté le nombre maximal de couleurs affichables et réalisé des personnages de pixels, mais on a aussi travaillé à l’amélioration du contraste et du scrolling. Enfin, on a légèrement amélioré le son de l’époque de manière à ce que les musiques et les bruitages n’aient pas à souffrir des limitations de l’époque. En conséquence, on peut ressentir l’atmosphère des années 80 sans en subir les mauvais côtés stressants au niveau du jeu.
Vous êtes conscient qu’avec Star Prince vous avez développé l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur shoot’em up de la Nintendo DS ?Merci pour ce compliment. Au sujet de Star Prince, j’ai certes travaillé dessus comme directeur, mais il faut saluer le travail des autres membres de l’équipe, le planneur Yazawa, le graphiste Takeda et le programmeur Hara. Takeda avait déjà une certaine expérience dans la création de shoot’em up sur arcade et cela nous a permis de régler au mieux la difficulté en créant des niveaux plus ou moins intenses et des bonus adaptés aux situations. Nous voulions faire depuis longtemps un shoot’em up, mais un tel projet semblait, au regard des ventes de ce type de produit, délicat. Nous avons eu la chance, grâce à Game Center CX, de pouvoir finalement faire un jeu de shooting plaisant aux couleurs des années 80. Si vous trouvez, Monsieur Greeg, qu’il s’agit d’un bon jeu, cela prouve que l’essence d’un titre tient non à ses graphismes, mais à sa simplicité et à l’excitation qu’il procure.
Est-il difficile de passer d'un produit artistique comme Elektroplankton, à un produit de commande comme OshareMajo et finir par un pur produit pour/par des fans de rétro?Non, pas du tout. Notre manière de penser est telle que, quelque soit le concept, nous travaillons du mieux possible sur un projet de façon à ce que le plus grand nombre de personnes puisse s’amuser avec. Ce qui importe par-dessus tout, c’est de continuer à réfléchir à la manière de faire les choses en fonction des thèmes et des joueurs.
Il y a une question qui me chiffonne. Pourquoi est ce que le second joueur, le jeune Arino, ne joue JAMAIS à la console ? C’est pourtant, en quelque sorte, le moteur du jeu. Mais il ne joue jamais à la console et semble s’en contenter ?En fait, le jeune Arino joue quand vous ne jouez pas ! (rires) Il vous cède certes la manette, mais il la reprend vite fait quand vous éteignez la console. Plus sérieusement, nous avions pensé le faire jouer durant la phase de développement du soft, mais nous n’avons pas eu le temps de concrétiser cette idée.
Selon vous, tout cela aurait été possible sans le boom des 20 ans de la Famicom ?Je pense que oui. C’est avant tout parce que l’émission Game Center Cx existe et que l’on a proposé à indies zero de faire ce jeu que finalement, peu importe le moment, le résultat aurait été le même, boom ou pas. Bien sûr, la célébrité de l’émission Game Center CX a servi ce jeu DS. Si on avait fait le même type de jeu sans marque ou nom célèbre, le résultat n’aurait sans doute pas été le même.
Lorsque l’on pense Nintendo DS, on pense évidemment aux diverses interactivités que la console peut apporter. Hors Game Center CX n’en a pas ou très peu. Par exemple, je me souviens que jeune, il fallait que je souffle souvent sur les cartouches et les connecteurs de la console pour que le tout fonctionne. Pourquoi ne pas avoir ajouté ce genre de petits éléments dans le jeu ?Vu que les jeux rétro ne demandent d’utiliser que les boutons normaux d’une manette, nous avons évité d’exploiter l’écran tactile, en ne laissant au final que quelques boutons de raccourcis (reset, extinction de console) et la possibilité d’écrire ses propres mémos. Par contre nous avions songé à utiliser le micro pour que le joueur puisse simuler le souffle sur les connecteurs. L’idée, marrante à la base si on ne le fait qu’une ou deux fois, a été au final abandonnée car jugée lassante à la longue.
Beaucoup de personnes citent Game Center CX comme un exemple d'immersion grâce à l'utilisation intelligente des deux écrans de la NDS (à des fins de mise en scène), pensez-vous que Game Center CX pourrait être une source d'inspiration pour les compilations de jeux retro à venir (tel Namco Museum ou Sega Ages)?Je ne sais pas, mais nous serions heureux de voir que d’autres titres s’inspirent de nous, étant donné que nous même avons parfois puisé l’inspiration ailleurs, ce serait un juste retour des choses. Petite anecdote, au moment où nous avons réalisé Shaberu ! DS oryori navi, on a vu apparaître en six mois dix titres qui possédaient la même interface. Les éditeurs de recettes de cuisine ont du se dire que ce genre de soft était très prisé au sein des utilisateurs de DS. Quoi qu’il en soit, nous sommes très contents de pouvoir être en quelque sorte les pionniers d’un nouveau genre de titre.
Même s’il s’adresse à une niche, Game Center Cx est tout de même un vrai succès au Japon. Peut-on compter sur un deuxième épisode qui se passerait dans les années 90 ? Avec par exemple des hommages au Super FX, à la 3D isométrique et aux FMV ?Ces informations ne concernant pas uniquement notre compagnie, je ne pourrais pas faire de commentaire.
Alors qu'il ya quelques années, on n'aurait jamais pu voir une boîte de sous-traitance mise en avant (j'ai eu vent d'histoire comme quoi les sous-traitants pouvaient avoir des closes dans les contrats pour que leurs noms n'apparaissent pas au crédit), on constate depuis quelques années un réel intérêt pour ses petites boites qui participent dans l'ombre à de gros projets (on peut citer Tose, Feel+, Dimps, AQ, etc). En tant que société qui fait du développement et de la sous-traitance, avez-vous concrètement remarqué un changement dans le regard qu'on peut porter à ces petites boites de l'ombre?A dire vrai, pas vraiment. De par les précédents jeux que nous avons réalisés, nous n’avons eu droit qu’à quelques interviews dans le Nintendo Online Magazine (NOM). On cite beaucoup le nom de notre entreprise à cause du lien qui rattache le jeu à l’émission Game Center CX, mais le citerait-on autant si ce n’était pas pour une question de ventes ? Il existe tellement de relations complexes au niveau contrats, timings et informations classées confidentielles entre les gros éditeurs et les sociétés de développement que ces dernières se tiennent en retrait pour éviter tout problème. Ce qui nous amène à une sorte de statu quo.
Avez-vous de futurs projets? Oui, nos deux sections d’élaboration ont terminé en 2007 de travailler sur un titre destiné à un gros éditeur (note : aucun nom donné dans l’interview) et travaillent actuellement sur plusieurs projets, tenus pour le moment secrets. Néanmoins, il y a parmi eux un titre qui pourrait bien être distribué en Europe. Le fait de voir même une seule personne comme vous, Monsieur Greeg, s’intéresser depuis la France aux travaux d’indies zero nous flatte beaucoup et nous encourage à créer des jeux de manière toujours plus passionnée.